Les choses simples

27.5.14

Le soleil du cycliste

Stéphane est venu me chercher à la maison pour aller à l’entraînement de handball. Ce soir-là, presque un an après sa blessure, il allait y participer. Je veux dire qu’il allait diriger l’entraînement et jouer en même temps. Depuis mon inscription dans ce club, je n’ai pas eu l’occasion de revenir sur le terrain à ses côtés. Il a été en rééducation pendant tout ce temps. Je ne l’ai eu que comme entraîneur et finalement mes craintes n’étaient pas justifiés. On peut entendre les conseils d’un ami, parfois même ses reproches, dans le cadre du sport. J’ai parfois souri quand il nous demandait de faire des exercices d’endurance ou de physique, sachant pertinemment qu’en tant que joueur, il aurait détesté se trouver à notre place.
 Je suis tellement peu investi dans cette saison que je joue au hand plus pour m’entretenir que pour être compétitif. Je n’ai pas été assez présent au sein de cette équipe pour espérer leur apporter quelque chose. Malgré tout, c’était une année sympathique et de tous les clubs que j’ai pu intégrer, celui-ci est de loin le plus intéressant, sur tous les plans. Je comprends que Stéphane s’y soit attaché.
A la fin de l’entraînement, Stéphane avait mal partout et a pris le temps de s’étirer. J’ai préféré me doucher et sortir l’attendre. Il était avec A. et comme ils aiment refaire le monde, cela a pris du temps. Lorsqu’ils sont sortis, j’avais déjà dit au-revoir à toute l’équipe et le gardien n’attendait plus qu’eux. Bien sûr, A. a proposé de boire une petite bière de l’amitié avant de se quitter. Je n’avais pas ma voiture, je dépendais de Stéphane pour rentrer alors j’ai été obligé de les accompagner pour boire une bière moi aussi… Ils ont fumé plusieurs clopes, ont refait le monde à nouveau (celui de la douche ne leur plaisait pas tant que ça). Stéphane m’a dit le fameux, « j’en fume encore une et on y va…, ça te va ? » Comment refuser ? Les parkings de gymnase, on ne fait pas mieux. Nous avons souhaité une bonne nuit à A. et nous sommes partis. Au bout de deux kilomètres, nous sommes tombés sur un accident au cœur d’un rond point. Une voiture était arrêtée devant le cédez le passage avec ses feux de détresse. Un homme téléphonait, tournant sa tête aux quatre coins, comme s’il cherchait quelqu’un qu’il ne trouvait pas. Une autre voiture avec ses warning était elle au milieu du rond point. De là où nous étions nous ne pouvions voir qu’un vélo au sol. Stéphane a arrêté la voiture et m’a dit : « Tu crois que quelqu’un a son brevet de secourisme là-bas ? » C’était une question qui n’attendait pas de réponse.
 
Il a détaché sa voiture et est sorti. A travers la pare brise, je l’ai vu s’approcher de l’accident. Certaines voitures qui s’engageaient dans le rond-point forçaient le passage. Stéphane s’est agenouillé. Je ne voyais pas la personne qui se tenait au sol, je ne savais pas dans quel était elle était mais je pouvais deviner au visage de Stéphane que ce n’était pas une scène atroce. J’ai essayé de sortir à mon tour mais il y avait la sécurité du côté passager et je n’ai pas réussi à la désactiver. J’ai vu alors Stéphane tenir un mec par les aisselles et le soutenir pour l’allonger sur le trottoir. Un autre mec a déplacé le vélo contre une barrière, laissant le passage aux voitures qui attendaient. Je me disais que si le cycliste pouvait bouger, ça ne devait pas être si grave, mais en même temps, dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux ne pas bouger la victime ? Stéphane est revenu en courant vers la voiture. « C’est un cycliste qui s’est fait percuter par une voiture. Il a fait un soleil le pote. Il est pas bien, bien. Il y a un gars qui a appelé les pompiers, ils arrivent » Il démarre et va se garer un peu mieux. « L’important, c’est d’éviter le sur-accident ». Je l’écoute et je me dis qu’il y avait des gens qui sont mieux préparés que d’autres, qui connaissent les termes, qui savent comment agir et réagir en toutes circonstances. Alors que je sors cette fois-ci moi aussi de la voiture, je me demandais si, dans la même situation, voyant qu’il y avait déjà des gens auprès du blessé, je n’aurais pas passé mon chemin, évitant de passer pour un curieux de plus. Que pouvais-je apporter ? Quelles étaient mes compétences dans ce cas concret ? Alors que j’évoquais cette hypothèse à Stéphane, il m’a répondu que ça ne coûtait rien de s’arrêter, de vérifier que les pompiers ont bien été appelés, que le mec est bien en position latérale de sécurité, de baliser la route et encore une fois d’éviter le sur-accident. J’avais l’impression de suivre une formation accélérée.
J’ai vu le mec par terre. Il essayait de bouger mais deux autres gars qui s’étaient arrêtés en même temps que nous se tenaient à ses côtés et lui demandaient de ne pas bouger. Il était grand et maigre, avait des cheveux gris, mi longs. Il portait un collier autour du cou qui tenait sa casquette. Autour de ses mains, il avait des gants. Je suis resté un long moment à fixer ses doigts et particulièrement ses index qu’il avait très courts, comme s’ils avaient été coupés à la moitié.  Je regardais la voiture, l’était du vélo avec seulement la roue avant un peu voilée et le conducteur, qui arpentait le mètre carré dans lequel il se tenait, en jetant des regards anxieux sur le cycliste. Stéphane lui a demandé comment s’est passé l’accident. Le vélo était caché derrière une voiture et quand elle a tourné, il s’est engagé dans le rond-point sans voir le cycliste. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que le blessé n’avait pas de casque, ni aucun habit fluo sur lui et encore moins une lampe sur son vélo. Stéphane lui a conseillé de garer sa voiture ailleurs mais le conducteur n’y tenait pas.
Nous avons attendu les pompiers. Ils ont garé leur camion et sont descendu tous les trois, chacun sachant parfaitement quoi faire. L’un a balisé la route avec des cônes orange et blanc, l’autre s’est occupé du blessé et le dernier assistait pour le matériel et pour tenir sa tête droite, en attendant de lui installer une minerve.  Le cycliste parlait et pouvait répondre aux questions. Le pompier l’a palpé partout pour être sûr de ne rater aucune blessure, il a même vérifié qu’il n’y avait aucune trace de sang sur ses gants après avoir passé ses mains dans son dos. Lorsque Stéphane a été sûr que les pompiers avaient les choses en mains et qu’ils n’auraient pas besoin de nous, nous sommes partis. Nous avons reparlé du fait de s’arrêter ou pas dans ce genre de situation. Il m’a parlé d’une femme qui s’était arrêtée lors de son récent accident sur l’autoroute et qui avait attendu que tout soit bien pris en charge pour les laisser et rentrer chez elle. J’ai compris qu’il était encore marqué par son expérience et que cette scène avait peut-être fait remonter des choses…

Une nouvelle petite aventure de Romain M.

Mon téléphone, un Iphone 4, a tendance à se décharger assez rapidement. Cela semble normal de la recharger à bloc presque toutes les nuits. Ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, je n’avais presque plus rien vers 16h. Je n’avais pas mon chargeur mais ma collègue D. a derrière son bureau un socle de chargement toujours branché adaptable aux Samsung et Apple. J’ai donc branché mon appareil dessus. Le bureau de D. est celui le plus proche de la sortie et du mien, j’ai l’œil dessus.
 
Quelques minutes avant de partir, j’ai bien vérifié que le chargement s’était bien déroulé puis je suis retourné à mon poste pour fermer mon ordinateur et préparer mes affaires. J’ai souhaité un bon week-end aux collègues encore présentes et je suis parti. Le ciel était très menaçant dehors. Quelques gouttes commençaient à tomber. J’ai accéléré le pas pour rejoindre la station de métro, chaque seconde nous rapprochant à coup sur de l’averse. J’ai attrapé un métro qui allait partir. Je me suis callé dans un coin et j’ai sorti mon livre.
 
Après deux arrêts, j’ai voulu envoyer un message à ma chère épouse pour l’informer que j’étais bien parti et qu’il me tardait de la retrouver. Après avoir palpé toutes mes poches, je me suis rendu à l’évidence que je n’étais qu’une petite tête avec du vent qui soufflait fort dedans. Je me suis également traité de tous les noms d’oiseaux qui me passaient par la tête, multiplié par dix quand, une micro-seconde plus tard, j’ai à nouveau voulu envoyer un message à ma femme pour la prévenir de ce contretemps. Extraordinaire !
 
Je suis descendu et j’ai pris le métro dans l’autre sens. Quand je suis sorti de la station Saint-Sulpice, l’averse tant redoutée plus tôt était en train de s’abattre sur nous. Bien sûr, je n’avais pas de parapluie et je ne pouvais pas attendre. Je me suis jeté sous les cordes et je me suis retrouvé trempé de la tête aux pieds au bout de cinq mètres. Le temps de parcours jusqu’à mon boulot ne m’a jamais paru aussi long, ni aussi insupportable, dans mes chaussures d’été qui prenaient l’eau à chaque pas. J’ai ouvert la porte du bureau, fait un grand sourire à mes collègues. Je n’ai rien dit. J’ai juste récupéré mon téléphone et je suis parti. Toujours sous la pluie battante.
 
Quand je suis à nouveau monté dans un métro, j’ai envoyé un message à ma femme en commençant par « Tu ne vas pas me croire mais… » Quelques secondes plus tard, j’ai reçu sa réponse : « jtecroispas… » Je savais quelle tête elle avait dû faire en recevant mon message.

Je sors de prison

Le midi, je suis allé à la FNAC pour acheter le cadeau de fête des mères. J’ai attrapé le CD, j’en ai pris un pour Sandrine, faisant une entorse à ma règle au sujet d’un cadeau à lui offrir pour la fête des mères, sachant qu’elle n’est pas ma mère… Je jette un œil sur toutes les caisses. La plupart semblent avoir trois ou quatre personnes en attente. Je choisis donc de m’insérer dans la file d’attente des deux « caisses express maximum trois articles ». C’était sans compter sur la lenteur des caissiers et les demandes de chaque client devant moi, persuadés qu’ils étaient également à l’accueil du magasin. Je tournais ma tête vers les autres caisses que j’avais laissé de côté et je voyais des gens arrivés en même temps que moi au rez-de-chaussée, avec leurs achats, être en train de payer, alors que j’attendais toujours. Je me demandais si je devais quitter la queue pour tenter ma chance ailleurs mais je me trouvais face au dilemme des caisses des supermarchés : dès qu’on chose de queue, c’est pratiquement obligatoire, celle qui allait vite, se met soudain à ralentir pour un problème  de prix manquant, de carte bleue qui ne passe pas, etc. Du coup, je suis resté sur place et j’ai poireauté, en attendant mon tour, ravi d’avoir choisi la caisse express.
 
En sortant, à l’angle de la FNAC Montparnasse, se tenait un homme. Il était grand, plutôt mince et semblait habiller comme un jogger. Il avait un blouson comme ceux que portent les bénévoles de la Croix-Rouge, Médecins du monde, Médecins sans frontières, etc. qui vous interpellent dans la rue avec le sourire en vous demandant si ça ne vous fait rien de voir des gens mourir au Darfour, de savoir que des enfants meurent du SIDA en Asie par manque de soins ou qu’il n’y a toujours pas d’eau en plein désert pour des centaines de villageois, etc. Grâce à l’un deux, je donne 10 € par mois depuis 5 ans à Médecins sans frontières, sans trop savoir pourquoi ni pour qui. Depuis d’ailleurs, j’essaie de les éviter, je trouve toujours un prétexte, je fais même parfois d’être au téléphone, juste pour ne pas avoir à leur dire non et à affronter le regard déçu et parfois condescendant.
Bref, tout ça pour dire que je m’apprêtais à trouver une méthode pour éviter la demande de ce grand mec, mais quand je me suis approché, j’ai vu qu’il tenait une pancarte en carton fait main sur laquelle il avait inscrit « Je sors de prison. Aidez-moi. » J’ai trouvé que ce n’était pas le meilleur slogan pour inspirer confiance, comme ça, au milieu de la rue de Rennes. Les choses passaient à côté de lui. Il essayait de leur parler mais aucun  ne s’arrêtait. Quand je me suis retrouvé à sa hauteur, il m’a regardé et m’a dit : « Eh, mec ! Tu me donnes une seconde chance ? » J’ai souri bêtement et j’ai continué à marcher.
Quelle seconde chance pourrais-je donner à un inconnu croisé dans la rue ?
Qui peut donner une seconde chance d’ailleurs ?

Elle plus tard

Le matin, dans le RER, je me suis assis pour lire et comme à chaque fois, avant de me plonger dans l’histoire, je scrute les passagers de mon wagon. Je ne sais pas ce que je cherche en faisant cela. Quelqu’un que je connais avec qui parler, un individu suspect, une jolie fille, les habitudes des gens, ce qu’ils lisent, combien ont en journal en main, combien un roman, combien regardent un film sur leur tablette, combien jouent à Candy Crush, combien dorment, qui semblent de bonne humeur. C’est un radar qui passe dans mes yeux. Je fais ça à chaque fois.

Ce vendredi, mon regard s’est arrêté sur une jeune fille en face de mois deux rangées plus loin. Je l’ai fixé un long moment jusqu’à ce que je me dise que ça risquait de devenir gênant. Son visage me disait quelque chose. Ses traits, son regard, le dessin de sa bouche, la manière dont ses cheveux retombaient, chaque détail me rappelait quelqu’un, une personne que je connaissais, que j’avais croisé, je ne savais pas exactement.
Puis, petit à petit, j’ai compris. En réalité, il s’agissait de Léane, la fille de Stéphane et Elodie, ma filleule. Mais pas telle qu’elle est aujourd’hui, évidemment, du haut de ses 3 ans et demi, non plutôt telle qu’elle pourrait être d’ici 20 ans. Cette jeune fille ressemblait à Léane dans 20 ans.
Je l’ai regardée assez souvent jusqu’à ce qu’elle quitte le train à Nation. C’était bien elle, c’était bien Léane, qui dans un « espace-temps parallèle de différents mondes qui coexistent en même temps » prenait le RER pour aller étudier ou travailler. Elle ne reconnaissait pas son parrain parce que c’était impossible que je sois là. J’aurais voulu lui parler, lui demander ce qu’elle devenait (allait devenir), comment nous étions tous devenus (allions tous devenir)…
Ce n’est pas la première fois que ce genre de chose m’arrive. Il y a plusieurs années, sur le quai du RER à Chatelet, j’étais tombé sur une très vieille femme qui avait les mêmes traits que Jade, la fille d’Anthony et Marie. Comme si 80 ans étaient passés d’un coup, me laissant la possibilité de voir ce que personne ne pouvait voir.

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