Hier, en fin d’après-midi, Romain M., en tant que
parent d’élève, avait un rendez-vous à l’inspection académique, située à
Bobigny, avec la directrice de l’école de son fils. Il s’agissait d’une
rencontre avec l’inspecteur et son assistante afin de donner des arguments
permettant l’ouverture d’une classe.
Le rendez-vous était fixé à 17h30. Romain M. a bien préparé
le trajet en regardant le site de la RATP et est arrivé à l’heure. La
directrice l’attendait, accompagnée de son mari.
L’entretien s’est bien déroulé. Chacun a avancé ses
arguments, expliqué la situation mais évidemment, rien ne s’est réglé
immédiatement.
En sortant, Romain M. a appelé son épouse pour la prévenir.
C’est elle qui devait aller chercher leur fils.
-
Tu as regardé quel était le chemin le plus
rapide pour rentrer ?
-
Non… mais c’est bon… je vais prendre le métro et
rejoindre la gare du Nord… De là, je prends le E jusqu’aux Yvris puis le bus et
c’est gagné…
-
Tu ne veux pas regarder sur le site de la RATP avec
ton téléphone ?
-
Non, ça va… Et puis le temps que je le fasse, je
serai déjà dans le métro…
Romain M. prend donc le métro. Quelques stations passent et
il reçoit alors un appel de son épouse.
-
Bon, j’ai regardé, le plus rapide, c’est de
prendre un bus jusqu’à Noisy-le-Sec puis le RER E jusqu’à Val de Fontenay puis le
A jusqu’à Champs.
-
Ok, c’est bien mais je suis déjà dans le métro.
-
A plus tard alors.
En sortant du métro, Romain M. se dirige vers le quai du RER
E et attend quelques minutes son train. Il passe le temps en regardant un
épisode de Fringe sur son téléphone. A Val de Fontenay, il se demande si ça ne
serait plus rapide de descendre là et de prendre le A puis se ravise, ayant
trouvé une place assise. Il descend à la gare des Yvris, suit la foule qui
passe directement du quai vers l’extérieur par un portillon qui n’est
semble-t-il pas toujours ouvert et attend son bus, le 320, à l’arrêt habituel.
Le bus arrive peut-être cinq minutes plus tard. Romain M.
monte et s’assoit, tout en continuant à suivre son épisode. Lorsque le bus
part, il lève un peu les yeux, juste le temps de passer devant le collège
Saint-Exupéry, puis les repose sur l’écran de son téléphone. Il envoie un texto
à son épouse : « Je suis dans le bus », sous-entendu, j’arrive
dans 15 minutes.
Peut-être dix minutes plus tard, Romain M. relève les yeux
et s’inquiète soudain de ne pas reconnaître la route par laquelle passe le bus.
Il observe plus attentivement et ne se repère pas du tout. Il regarde alors
enfin autour de lui et se rend compte du numéro du bus, du plan de ligne :
il est dans le 312 ! Une seconde, il se demande s’il n’est pas tout de
même dans le 320 mais qui aurait utilisé un vieux 312 en remplacement, mais en
jetant encore un coup d’œil derrière la vitre, il doit se rendre à l’évidence,
il est bien dans le 312 ! Mais le problème, c’est qu’il ne connaît pas du
tout ce bus ! 30 ans qu’il vit à Noisy-le-Grand et il n’a jamais pris une
seule fois cette putain de ligne !
Le bus s’arrête et il regarde alors dehors le nom de l’arrêt.
Il est à Malnoue. Il retrouve cet arrêt sur le plan de ligne et comprend enfin
qu’il est à déjà 7 stations de la gare des Yvris. Il s’agit en fait d’une ligne
qui passe par cette gare, par Malnoue, Emerainville, Champs (Mairie, Château,
le rond-point des pyramides), la gare RER de Noisy-Champs et qui revient aux
Yvris.
-
Non mais ce n’est pas possible d’être aussi con !
Je n’ai pas fait ça ? Pas encore ? murmure-t-il tout en essayant de
trouver une solution.
A l’arrêt suivant, il se dit qu’il faudrait peut-être
descendre et prendre le bus dans l’autre sens pour récupérer à la gare des
Yvris le 320. Mais le temps de se demander si c’était vraiment la bonne
solution, le bus repart et dans l’autre sens, il voit passer le bus qui aurait
pu le ramener. Il cherche alors à nouveau sur le plan le meilleur endroit pour
s’arrêter mais ne trouve rien.
Il décide alors d’appeler son épouse.
-
Allo, tu ne me croiras jamais ? Je suis
dans le bus mais j’ai pris le mauvais bus…
Elle pousse un long et profond soupir.
-
Venant de toi, ça ne m’étonne pas ! Ah,
non, vraiment, ça ne m’étonne pas ! Mais comment t’as fait ?
-
Je ne savais pas qu’il pouvait y avoir un autre
bus à cet endroit. Je suis à Champs. Tu peux venir me chercher à la Mairie de
Champs ?
Romain M. entend derrière elle le bruit de l’eau et de son
fils qui joue avec ses bonhommes.
-
Euh… Ben, c’est où exactement ?
-
C’est où ? Bah, c’est la Mairie de Champs,
avant le château, quoi ! Là où nous étions pour le mariage de C.
-
Non, je ne vois pas… Dis-moi comment faire pour
y aller…
-
C’est-à-dire… Euh, la Mairie de Champs quoi !
-
Attends deux seconde !
Romain M. entend sa femme sortir leur fils de l’eau et lui
dire qu’ils doivent partir parce que papa est coincé dans le RER (!!!). Sa
femme annonce même à son fils qu’ils vont du coup manger au Quick (!!!). Elle
reprend le téléphone et soupire.
-
Bon, alors, c’est où exactement ?
Romain M. repère soudain un endroit qui lui semble familier.
-
Non, laisse tomber. J’ai vu où j’étais. Je me
débrouille.
-
T’es sûr ?
-
Oui, oui, c’est bon. J’arrive.
Romain M. raccroche. Le bus s’arrête. Mais personne n’avait
appuyé sur le bouton « arrêt demandé ». Romain M. fait un geste au
chauffeur qui lui ouvre gentiment la porte. Il descend. De l’autre côté de la
route, il voit un 220 mais celui qui va en direction de Torcy. Il se dit qu’il
pourrait essayer d’attraper celui qui va vers Bry et qui pourrait le rapprocher
de la maison, avec un arrêt à la Pointe de Gournay mais n’est pas sûr de
trouver l’arrêt rapidement, ne tient pas à marcher pour rien ni à attendre trop
longtemps. Il est au carrefour, juste avant d’arriver à la Mairie de Champs. A
gauche, quand on vient de Noisy, on retourne sur Gournay. A droite, on va vers
Champs, Emerainville. Et tout droit, on va vers le château et le parc de
Noisiel. Il est à la croisée des chemins, perdu au milieu de nulle part.
Romain M. passe parfois par-là lors de ces footings
matinaux. Il sait qu’il lui reste environ 2 kilomètres jusqu’à chez lui. Ni une
ni deux, il retire son bonnet et son écharpe, attrape son sac en bandoulière,
et, avec ses chaussures de villes, sa chemise, son pull, son manteau et son
jean, se lance dans un footing imprévu. Il y a d’abord une grande descente
avant d’enchaîner sur une grande montée. Le sol est glissant et ses chaussures
ne sont pas très adaptées à la course à pied. Il se dit que les entraînements
de course à pied ont finalement été bien utiles. Sur le chemin, il rencontre
une joggeuse qui le regarde bizarrement. Lorsqu’il attaque la montée, la
motivation du départ n’est plus la même. Il marche un peu puis repart. Il
parvient enfin sur le pont qui passe au-dessus de l’autoroute A199 et voit
passer et s’arrêter à un arrêt un bus. Il le reconnaît immédiatement.
-
Non, ce n’est pas possible ! Ça
ne peut pas être vrai ! Non !
C’était le 312 ! Celui dans lequel il était, qui venait
de faire son tour et qui s’apprêtait à repartir vers la gare RER de
Noisy-Champs ! Alors que Romain M. traversait et passait devant le bus, il
a croisé le regard du chauffeur de bus qui a plissé les sourcils, semblant le
reconnaître et se demandant quel était ce jeu idiot qui consistait à courir
aussi vite que le bus.
Accusant le coup, Romain M. marche un peu, reprenant son
souffle. Il est désormais dans la rue qui remonte vers l’éléphant bleu et le
McDo. Encore une descente et une montée. Il se motive. Sa chemise est
évidemment trempée de sueur. Il se remet alors à courir. Ses chaussures, en
tapant sur le sol, font un bruit d’éléphant. Arrivé près du McDo, il ralentit
un peu, reprend encore son souffle. Mais pour une courte durée, parce qu’il
parvient à voir son bus, le bon, le 320, arriver au loin. Il fait alors un
sprint pour rejoindre l’arrêt de bus situé sous le balcon de S. et E. Il entre
dans le bus, essoufflé, fumant, les jambes tremblantes et descend deux arrêts
plus loin. Il parcourt les derniers mètres vers sa maison en marchant.
A son arrivée, son épouse est en train de faire à manger
pendant que son fils regarde la télévision. Il embrasse son fils puis sa femme.
Il est 19h55. Il doit partir à 20h10 pour aller à son entraînement de
badminton. Elle soupire.
-
Bonjour, au-revoir… Débile !
Romain M. sourit, n’en revient pas d’avoir vécu une nouvelle
histoire de ce genre, essaie de trouver une explication mais aucune n’est
vraiment valable.
-
Comment savoir qu’un autre bus pouvait passer
par là ?
-
Bah, je ne sais pas… Déjà, en regardant le
numéro sur le bus. Puis les affiches et les plans à l’intérieur du bus. Puis le
chemin qu’il prend. Il y avait des signes quand même.
-
Oui mais je regardais ma série sur le téléphone
et puis je n’ai pas fait attention…
-
Je sais oui, je sais… Incroyable.
Romain M. met toutes ses affaires dans le panier de linge
sale, se change, prépare son sac, embrasse sa petite famille et repart. Il est
en forme, déjà bien échauffé.
Sur la route, repensant à tout ça, il se dit à voix haute :
-
C’est quand même fou d’être si con !