Le koala de l'amour
Jeudi soir
Je me suis dépêché de rentrer à la maison (enfin à la vitesse du métro, du RER et du bus) car Sandrine avait pris sa journée et c’est toujours mieux de se sentir attendu. Je suis resté de longues minutes bloqué sur la même page de mon livre. Erreur fatale, je m’étais assis et au bout de deux secondes, je me suis assoupi, luttant pour ne pas m’endormir totalement, reprenant ma page, cherchant la bonne ligne, mes yeux se refermant très vite…
A la maison, Sandrine était avec Marion et Maxime. J’ai pu passer du temps avec la petite dans mes bras, essayant de la calmer avec la tétine, avec mes bras réconfortant, avec ma voix douce mais je crois qu’elle avait faim et pour ça, je ne pouvais rien faire. Marion est donc rentrée.
Roland m’a téléphoné pour me proposer d’aller au restaurant ce soir plutôt que de se voir dans notre salle habituelle. Rendez-vous 20h30.
Nous sommes allés chez les parents de Sandrine. Son père retourne au Portugal samedi pour faire des travaux dans la maison et c’était comme un repas de famille pour lui souhaiter bon voyage. Je les ai regardés manger et vers 20h20, je me suis éclipsé. Je suis allé à pied jusqu’au restaurant L’obus de 1870, près de l’église Neuilly.
J’étais le premier. Je ne suis pas entré. J’ai regardé Olivier se garer juste en face du resto avec sa grosse voiture. Nous sommes entrés ensemble et le patron nous a indiqué une table. Le restaurant était désert. Très belle décoration, ambiance de jazz avec des photos, des tableaux. Je suis passé des centaines de fois devant ce restaurant sans jamais jeter un œil à l’intérieur, j’avais manqué quelque chose.
Nous nous sommes installés. Roland est arrivé quelques minutes plus tard. Puis Carole. Nous avons discuté de l’avenir de la pièce en attendant Paul et Hacina, qui sont arrivés avec une heure de retard. Nous voulons toujours la jouer mais il faudrait que cela arrive de manière plus régulière. Paul doit donc nous trouver une date et surtout, une salle, pour la fin du mois de septembre. J’ai précisé qu’il fallait vraiment qu’on joue plus souvent sinon on allait se démotiver, moi le premier. J’avais envie d’arrêter il n'y a pas si longtemps mais remonter sur scène la semaine dernière, même devant 20 personnes, ça me redonné envie. Mais pas pour jouer dans six mois…
De temps en temps, dans notre discussion, des répliques de la pièce nous venaient naturellement, et ça nous faisait bien rire. Très private joke quand même…
Roland a emis l’hypothèse de nous faire jouer à Montreuil, Carole a Paris, dans une salle, rue de Ménilmontant, Paul dans les MPT de Noisy (moins glamour…).
Roland a également proposé l’idée d’une nouvelle pièce. Personne n’a relevé, nous sommes encore trop impliqués dans Linge sale.
Nous avons vraiment bien mangé. C’est fin, très bon, peut-être un peu cher mais je m’en fous, je suis super riche.
Nous nous sommes séparés sur le trottoir.
Olivier n’avait pas vraiment l’air en forme. Dans la soirée, je lui ai demandé où il comptait partir en vacances, il m’a répondu que c’était compliqué et qu’il pensait peut-être se faire une semaine de vacances tout seul pour faire de la photo, « c’est quelque chose que j’ai toujours eu envie de faire et là c’est l’occasion », c’est le genre de phrases qu’on sort que ça ne va pas bien avec sa femme. Hacina lui a dit en partant, « tu embrasseras ta femme », il a répondu, en baissant les yeux, d’une voix à peine audible « oui, oui ».
Mais nous n’avons pas posé de questions. Finalement, nous ne nous connaissons assez mal, nous ne sommes que des camarades de théâtre… Et ce n’est pas vraiment là qu’on partage ses problèmes, au contraire, c’est plutôt en montant sur scène qu’on essaie de les oublier.
Roland, Paul et moi, nous sommes rentrés à pied jusqu’à nos voitures. Hacina est passée devant nous, la voiture, leur vieille BX blanche grinçait et couinait. Une balade digestive un peu plus longue après mon repas copieux ne m’aurait pas dérangé.
J’ai appelé Sandrine lorsque je me suis retrouvé derrière le volant de la R5. Une voix déjà bien endormie m’a répondu. En effet, en ouvrant la porte de l’appartement, j’ai vu que tout était sombre. Sandrine dormait déjà. Elle m’a quand même parlé, m’a demandé comment s’était passée ma soirée. Ce matin, elle ne s’en souvenait plus.
Aujourd’hui, j’ai eu ma visite médicale. Je suis apte. Elle m’a fait lire les lignes de lettres en me couvrant un œil puis l’autre. J’ai lu un « V » et en me rapprochant pour m’assoir, je me suis rendu compte que c’était un « Y ». Je n’ai pas pu m’empêcher de dire à voix haute : « ce n’était pas un « v », c’était un « y », le salaud ! ». Elle m’a posé de nombreuses questions. Tout va bien. Elle m’a touché le ventre du bout des doigts et m’a demandé si je prenais un petit déjeuner le matin. Oui, bien sûr, et j’ai un micro-surpoids... si vous voulez tout savoir !
On m’a également délogé de mon bureau ce matin.
Un mec devait s’y installer lundi matin mais il a trouvé que c’était mieux pour lui de le faire ce matin. Donc, le service informatique est entré dans le bureau avec une nouvelle imprimante et un nouvel ordinateur et m’a gentiment demandé de déguerpir.
J’ai pris mes affaires et j’ai traversé la rue pour rejoindre le deuxième étage et me présenter devant ma résponsable, malheureux comme un chien battu. Elle a passé quelques coups de fil et m’a dit qu’une place allait se libérer mais seulement dans une heure et que pendant ce temps-là, je pouvais flâner…
Je suis allé dans un bureau pour discuter avec I. une chef d’équipe avec qui je m’entends bien et soudain ma chef est arrivée pour me dire : « Vous avez de la chance ! Une place se libère ! Heureusement, quelqu’un est malade ! » Je souris : « Vous êtes contente parce que les gens sont malades ? » « Oui, c’est un peu ça en ce moment, on manque tellement de place ! ».
Je me suis donc installé au bureau d’une personne qui a un grave problème au pied et qui, pour cette raison, a fait le bonheur de ma chef.
Nous ne sommes que deux dans le bureau. En face de moi, de l’autre côté des écrans, il y a une petite femme très grosse avec une robe imprimée bleue. Elle est gentille mais parle toute seule en bossant.
Sur mon poste, il y a une dizaine de petites peluches (des lapins, un âne, une vache, un Dumbo et bien sûr un koala qui tient un cœur entre ses bras avec écrit LOVE dessus). Sur les murs, il y a de belles photos de paysages tirées d’un calendrier et surtout la photo encadrée d’un chien, un épagneul breton, genre photo de souvenir après sa mort tragique, accompagnée d’un dessin de ce même chien et, vantousé sur le cadre, un porte-clés représentant un chien jaune…
Je reste sans voix devant tant de goûts.
Un intérimaire, V., arrivé à peu près en même temps que moi, est passé dans le bureau.
Il a l’air gentil mais semble également pas mal se la raconter. Durant les premiers jours, il m’avait dit alors que je l’avais simplement croisé dans le couloir qu’il faisait trop de dossiers, qu’il était trop rapide et que les chefs lui avaient dit de ralentir la cadence… J’avais hoché la tête, hyper intéressé (je sais faire…) et répondu un « ah bon » profond.
Cette fois, il me dit, l’air de rien : « On entend pas beaucoup parler de toi dans la société ! » Je ne comprends pas du premier coup alors il me répête sa phrase en ajoutant : « C’est vrai, on ne te voit jamais ! » « C’est sûrement parce que je ne vais jamais en pause et que j’étais dans un bureau de l’autre côté de la rue, tout seul… » j’ai répondu, tranquillement. « Ah ouais, ça peut expliquer… » J’ai poursuivi mon boulot en cours. Je crois qu’il a vu que la discussion n’avait pas à aller plus loin et que la courtoisie feinte ou l’hypocrisie sociale n’était pas obligatoire.
J’ai pris un peu plus de temps pour déjeuner, le bonheur des horaires variables.
J’étais bien au square Louis XVI en train de regarder un film sur mon ARCHOS. Je n’avais pas très envie de revenir.
Et finalement moi voilà à nouveau devant les peluches du monde enchanté et le koala qui me dit LOVE.
C’est beau la vie !
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