Les choses simples

23.8.07

Mourir en Thaïlande

Mercredi

A la maison, je me suis occupé de l’ordinateur. Malgré le formatage du disque, il traîne encore et des fenêtres s’ouvrent n’importe quand.
J’ai préparé mon sac de sport et je suis allé chercher Sandrine au RER. Nous sommes passés chez Cidalia pour discuter un peu avec elle, la soutenir, essayer de comprendre.

J’ai déposé Sandrine chez ses parents et je suis remonté sur Noisy. J’avais dit à Claudia que je passerais chez elle pour 19h. Finalement, j’ai sonné à l’interphone vers 19h30. Je devais être à Ozoir pour 20h alors quand je suis arrivé, je me suis tout de suite excusé de mon retard et du fait que je n’allais rester que quelques minutes. J’ai enfin vu son mec en vrai (je l’avais déjà vu en photo). Il a essayé de parler français avec moi et s’en est plutôt pas mal sorti ; moi, je n’ai même pas tenté de prononcer un seul mot en portugais.
Nous sommes restés debout. J’ai même gardé mon K-way. Claudia nous a offert un cadeau pour le bébé. C’était vraiment très gentil de leur part alors comme d’habitude, ému, je n’ai pas su quoi dire.
Sylvia est arrivée alors que je partais. Elle a trouvé que ma voix avait mué (c’est la première fois qu’on me dit ça, sauf quand ma voix d'adolescent, avait vraiment mué). Je suis parti de chez Claudia à 20h, ce qui rendait mon arrivée dans les temps à Ozoir complètement impossible.

Au stade, les mecs étaient déjà en tenue sur la piste, en demi-cercle, face à Gilles, l’entraîneur. Certains étaient bien bronzés, d’autres un peu moins. Il y avait des joueurs de l’équipe 2 avec nous (ils étaient d’ailleurs bien plus nombreux que nous). Je me suis changé dehors, écoutant avec les autres les premières indications et le programme de la soirée. Une pluie très fine tombait sur nous. Avec Stéphane, nous avions réservé une heure de badminton au cas où la pluie serait tombée plus fortement. J’avais un peu espéré faire du bad plutôt que courir sous ce brouillard pluvieux énervant. Au signal de Gilles, ils sont tous partis pour 30 minutes de footing. Je n’étais pas encore prêt.

A. est arrivé. J’ai trouvé qu’il n’avait pas une bonne mine, il était pâle, semblait malade. Je lui serre la main, lui demande si ça va et il ne me répond pas. Je voulais savoir si ses vacances en Thaïlande, dont il nous avait tant parlé, s’étaient bien passées. Gilles fait une tête bizarre. Je sens que quelque chose ne va pas mais je n’arrive pas deviner quoi exactement. Gilles dit à A. : « Tu veux faire ça maintenant ? » A. marmonne un oui entre ses lèvres. Gilles crie alors vers les gars qui sont déjà à une bonne cinquantaine de mètres. Il leur dit de revenir. Au début, ils ne comprennent pas puis quand ils voient A., ils marchent plus vite.
A. est très apprécié dans l’équipe, il joue bien, il est marrant et surtout il ne se prend pas au sérieux. Les deux équipes se positionnent pour écouter Gilles qui annonce que A. a quelque chose à nous dire. Nous commençons tous à voir qu’il n’a pas sa tête des bons jours. De mon côté, je me dis qu’il a peut-être changé de club pendant les vacances et qu’il ne sait pas comment nous le dire, trop coupable.

En fin de compte, il nous a annoncé d’une voix tremblante et courageuse, en prenant le temps, que sa copine venait de décéder, à peine dix jours plus tôt, dans un accident de scooter, en Thaïlande.
Ils sont restés là-bas un mois puis elle a décidé de poursuivre ses vacances asiatiques deux petites semaines avec une copine et dans un accident bête, elle a perdu la vie.
A. n’est pas entrée dans les détails. Il a juste précisé que l’enterrement avait lieu samedi, qu’il ne serait pas disponible pendant quelques temps mais qu’il viendrait bientôt car il avait besoin de se changer les idées, de voir du monde. Bien sûr, ça nous a tous foutu un coup. Il a serré les mains de tout le monde. Certains ont essayé de lui dire quelque chose, d’autres ont tenté de lui transmettre quelque chose juste par le regard. Difficile de savoir quoi dire ou quoi faire dans cette situation.

Pour éviter de rendre l’ambiance trop embarrassante pour A., Gilles nous a donné le signal pour qu’on débute le footing. A. est resté quelques instants encore à discuter avec Gilles et L. Pendant que je courrais, que j’essayais de mettre un pas devant l’autre en pensant à l’histoire de la copine de A., J. m’a demandé si ça allait. J’ai répondu que non pas vraiment, que je n’avais qu’une envie, c’était de rentrer pour dire à ma femme de ne surtout pas mourir.

L’entraînement s’est poursuivi malgré la pluie qui se mélangeait avec notre sueur. Nous avons fait des exercices dans les tribunes. Pour une reprise, c’était pas mal, ni trop dur, ni trop simple. Un mec de l’équipe 2, un grand blond, avec des cheveux longs (genre dernier vestige de l’époque grunge) maigre et avec un sourire bête, m’a collé pendant toute la deuxième partie de l’entraînement, un peu comme quand dans une course un mec te suit juste pour profiter de ton énergie et te doubler dans les derniers mètres. Je ne le connais pas, je ne sais même pas comment il s’appelle mais il était là, tout près, toute la soirée.
Nous avons pris notre douche et un peu avant 22h, j’ai quitté le stade.
A l’entrée de la Francilienne, il y avait un accident, ce qui m’a refait pensé à A. Je l’ai trouvé très courageux d’être venu nous voir pour nous dire ça. Moi, je serais resté chez moi, cloîtré, incapable de prononcer un seul mot.

Bonheur de retrouver Sandrine à la maison. Elle lisait attentivement Le Grand livre des prénoms, me citant de temps en temps, une idée… mais rien de nouveau pour le moment.

Ce midi, j’ai encore une fois mangé ma petite salade au square. D’habitude, je m’assois sur les marches de la bastide et je regarde tranquillement un morceau d’un film en mangeant. Aujourd'hui, une femme avec un badge des Musées de Paris est venue me déloger m’indiquant que j’étais assis sur un monument historique et que c’était interdit, que je pouvais plutôt m’installer sur les bancs. Je me suis donc assis sur le banc le plus proche et j’ai poursuivi le visionnage de mon film. Je dois avoir l’air un peu mystérieux parce que mon Archos est dans mon sac et que j’ai donc l’air de regarder attentivement au fond de mon sac, avec mon gros casque.
Sur le banc d’à côté, un mec donnait à manger au pigeon.
Je déteste ses animaux et encore plus quand ils sont attroupés. J’ai donc souvent relevé la tête vers ce mec et les pigeons, espérant qu’il arrêterait et qu’ils se disperseraient très vite.
Au bout d’un moment, j’ai remarqué qu’il avait souvent le visage tourné vers moi et même qu’il me souriait. Il devait avoir une trentaine d’années, un black, crâne rasé, carré sans être costaud, pas mal quoi, qui buvait de l’eau à la bouteille en me regardant avec le sourire.
Je n’osais y croire mais j’avais bien l’impression que j’étais en train de me faire draguer !
Gêné, j’ai ensuite tout fait pour garder mes yeux fixés sur mon film. Quelques minutes plus tard, j’ai vu sa silhouette se lever. Il est passé devant moi et m’a lâché un bonjour chaleureux avec un large sourire. Il a jeté un truc dans une poubelle qui était à quelques mètres puis est repassé devant moi mais plus lentement. J’ai relevé la tête et il m’a adressé la parole, me disant que c’était génial ces appareils, que c’était super de pouvoir regarder un film, comme ça, dehors, dans un parc, me demandant si c’était un film que j’avais fait moi-même. Il essayait en même temps de plonger son regard dans mon sac, curieux de reconnaître le film sur une seule image.
Il a fini par me souhaiter une bonne journée, toujours d’une voix chaleureuse, et terminant sa phrase en buvant dans un geste calculé et volontairement aguicheur, une gorgée d’eau au goulot de sa bouteille. Il a continué dans l’allée, vers la sortie.
Je n’ai pas pu m’empêcher de le regarder s’éloigner pendant quelques secondes et même, je l’avoue, de regarder ses fesses.
C’est assez troublant de se faire draguer par un mec mais ça fait quand même plaisir.