Les choses simples

6.7.07

Le sac à main surprise

Jeudi soir

Depuis quelques jours, Sandrine avait prévu une soirée avec ses collègues. Je ne savais pas encore ce que j’allais faire de ma soirée jusqu’à jeudi matin.
Sandrine attend un sac à main que je lui avais promis pour son anniversaire. Comme je suis un peu lent à la détente et que ce n’était pas vraiment à elle de me forcer à lui offrir un cadeau, elle est restée patiente. Je me suis dit que c’était le moment.
Elle m’avait parlé, il y a longtemps, en tout cas dans mon souvenir, d’un modèle, d’une couleur, d’une marque. Ma pauvre mémoire se rappelait de la marque et le reste était flou… Dans la journée, j’ai essayé de lui soutirer des informations mais sans succès.
En partant, j’ai dit à Sandrine que j’allais au cinéma (ça faisait partie de mes premiers projets) et elle n’a eu du coup aucun soupçon.

Arrivé à la boutique Lamarthe, avenue de l’Opéra, j’ai regardé les sacs en vitrine puis je suis entré. Il y avait deux rangées de sacs, une à gauche et une à droite. A gauche, j’ai tout de suite vu plusieurs sacs qui auraient pu correspondre à celui que Sandrine recherchait. Je regardais les prix, les articles soldés. La vendeuse, qui venait de se débarrasser d’une vielle dame, s’est approchée de moi pour savoir si j’avais besoin d’aide. Je lui ai expliqué mon problème.

Moi : Je cherche un sac que ma copine a vu mais je ne sais pas lequel. Je sais juste qu’il est grand et marron. Je veux lui faire une surprise mais je sens que je vais me planter…
La vendeuse (elle sourit) : Mais non ! Et puis c’est le geste qui compte, ça lui fera plaisir… Dans le pire des cas, vous pourrez toujours l’échanger !
Moi : Ah oui ! Tant mieux parce que vraiment, à chaque fois que je veux lui faire une surprise, je me goure donc… (Je regarde les sacs un par un et j’en vois un qui est grand et marron, je le montre du doigt à la vendeuse) Je peux voir celui-là ? Je sais qu’elle veut un sac marron, ça c’est sûr…
La vendeuse (attrape le sac, me le présente) : Votre copine est grande ?
Moi : Non, pas vraiment. Pourquoi c’est un sac pour grand ?
La vendeuse (se pince les lèvres) : Oui plutôt. (Elle enfile le sac sur son épaule). Vous voyez, en le mettant comme ça, sur quelqu’un de petit, on ne voit plus que le sac…
Moi (je souris, j’imagine en même temps Sandrine avec un sac plus grand qu’elle et l’image me fait rire) : Oui, c’est sûr. Vous avez un sac dont la référence sur votre site Internet est km105 ?
La vendeuse (s’assoit sur le petit présentoir dans une pose que je trouve très suggestive et regarde deux trois sacs avant de tomber sur celui que je demandais) : Voilà, c’est celui-ci. Mais il n’est pas marron. Il est (j’allais la couper pour dire « crème ») sable.
Moi : Je vois bien. (Je le regarde attentivement, je ne suis vraiment pas sûr d’être devant le bon sac). Je ne sais pas. Il n’existe pas en marron ?
La vendeuse : Non (elle repose le sac et en prend un autre dont elle met les anses dans le creux de son coude) mais vous avez celui là également… Plus petit mais plus chic… Et marron…
Moi : Je ne sais pas. Je suis en train de faire une erreur, c’est sûr.
La vendeuse (me montre l’autre rangée de sacs) : Sinon, vous avez toute cette collection…
Moi (je regarde à peine de ce côté, il y a des modèles fantaisistes avec des couleurs chatoyantes et d’autres, plus sombres et plus classiques, avec des finitions en forme de nœuds de cravate ; le sac dont Sandrine rêve ne pouvait pas être là) : Oui, oui… (J’observe la vendeuse avec ce sac sur son bras ; j’imagine Sandrine avec ce sac et là, j’y crois). Vous savez quoi ? Je vais prendre celui là. Il n’est pas très grand, il est marron. Je dois me tromper mais je ne dois pas être loin.
La vendeuse : Entendu monsieur (elle dépose le sac), je vais voir s’il y en a un dans la réserve (elle descend un escalier et disparaît).

Pendant ce temps, je jette un œil sur tous les sacs et je me dis qu’il y a, là, au milieu de ce choix incroyable, le sac que Sandrine aimerait avoir et moi, je vais lui en acheter un autre, en espérant secrètement que ce sera peut-être le bon finalement ou qu’elle le trouvera encore plus joli que celui qu’elle désire.
J’essaie encore de me convaincre de ce miracle quand la vendeuse remonte avec un sac emballé. Elle me fait un paquet cadeau et je paie. Je redemande si on peut l’échanger sans problème. Elle me confirme que j’ai un mois mais me dit qu’il n’y a pas de raison, que ça fera plaisir à ma femme, etc.
Je souris et quitte le magasin en disant : « Au-revoir et sûrement à la semaine prochaine pour changer de sac ».

Malgré tout, en rentrant à la maison, avec mon paquet, je suis content. Je retrouve le goût (que je connais si peu) d’offrir des cadeaux à Sandrine, de lui faire des surprises. J’attends avec impatience de voir ses yeux briller et j’oublie peu à peu que je ne suis pas du tout sûr d’avoir choisi le bon sac, que je me suis peut-être complètement trompé et que tout va tomber à l’eau.
A la maison, j’installe le paquet sur le lit et je ferme la porte de la chambre.

J’ai fait un peu de rangement dans mes dossiers sur l’ordinateur puis j’ai mangé en regardant Nadal être très fort, même sur le gazon de Wimbledon.
Après, j’ai choisi trois CD de jazz, éteint la télé et je suis allé dans le bureau.
J’ai d’abord terminé Trois jours chez ma mère et choisi mon prochain livre.

Puis, en écoutant un album de Chet Baker, j’ai relu et corrigé ce que j’avais écrit en mars et en avril. Ce n’était pas si nul en fait. Il y a des choses à modifier, des parties à approfondir, des détails à retirer, une harmonie entre les chapitres à mieux définir mais dans l’ensemble, ce n’est pas trop mal. Je me suis convaincu qu’il ne fallait pas abandonner ce début. J’ai repris quelques notes pour me donner un fil conducteur pour la suite et je me suis lancé. Cette fois-ci, c’est Sydney Bechett qui m’accompagnait. J’ai avancé un petit peu.

Stéphane m’a téléphoné pour me parler de ses vacances, de la pluie, et des trucs qu’ils étaient allés voir en famille dans la région. Il me disait que la station était vide le soir. C’est toujours le même problème. Il y a beaucoup de familles et après la soirée au restaurant, ils rentrent se coucher.
Un jour, tous ses enfants auront 18 ans, et feront les mêmes conneries que nous puis grandiront, vieilliront, auront peut-être une femme et des enfants, et se souviendront avec leur pote toujours présent qu’ils furent jeunes à une époque pas si lointaine.

Sandrine a téléphoné pour me prévenir qu’elle partait de Châtelet. Je suis donc allé la chercher au RER et nous sommes rentrés. Elle m’a demandé comment était mon film. J’ai menti, pour la bonne cause.
En rangeant la voiture au garage, alors qu’elle venait de monter à l’appartement, j’ai espéré qu’elle n’entre pas dans la chambre en mon absence. Je l’ai retrouvée sur le fauteuil en train de lire attentivement son courrier.

Quelques minutes plus tard, déjà en pyjama, elle est entrée dans la chambre pour aller se coucher et est tombée nez à nez avec le paquet qui était resté bien sage depuis tout à l’heure. Elle a poussé un cri de surprise et s’est jetée sur le lit, les yeux brillants, heureuse.
Elle a feuilleté le catalogue que j’avais pris soin d’emporter. Elle m’a regardé, a dû voir mon air inquiet.

Sandrine : Tu as pris lequel ? (Elle ouvre le dépliant)
Moi : Tu voulais lequel ?
Sandrine (me montre le modèle avec la finition en nœud de cravate) : Celui-là… En noir…
Moi (le ciel s’écroule sur moi, j’aimerais revenir en arrière et ne jamais avoir eu l’idée d’acheter ce sac sans être sûr à 100%) : Ah… (C’est mon « ah » avec ma voix de susceptible que Sandrine commence à connaître).
Sandrine : Ce n’est pas celui que tu as acheté ? C’est lequel ? (Elle m’invite à regarder sur le catalogue).
Moi (je voudrais disparaître au fond du lit tellement j’ai honte ; je lui montre le sac) : Celui-là… Je savais que j’allais me tromper, c’était sûr, je me trompe tout le temps. (Je commence à me sentir énervé contre moi-même, ma connerie, ma pauvre mémoire).
Sandrine (en ouvrant le paquet) : Ce n’est pas grave ! (Elle sort le sac, le regarde ; sa réaction me confirme qu’il ne s’agit pas du tout du bon sac). Je t’ai dit la semaine dernière quand nous étions à Vincennes que j’en voulais justement un noir. Je te l’ai même dit ce matin.
Moi (c’était vrai, je m’en souvenais pendant qu’elle me le disait ; je m’en voulais d’autant plus d’avoir tant foiré ma surprise) : Bon (je range le sac dans le paquet, le referme ; cette situation me gêne, me dérange, m’agace ; je l’emporte avec moi et le dispose dans l’entrée), voilà, ça m’apprendra à vouloir te faire des surprises ! Je me trompe à chaque fois ! Et là, je suis carrément passé à côté. Tu voulais un grand sac noir, je te ramène un petit sac marron ! Et en plus j’étais sûr de mon coup pour la couleur !
Sandrine (voulant détendre l’atmosphère) : Tu ne t’es pas trompé sur la marque, c’est déjà ça.
Moi (je ris jaune, je suis totalement abattu, à deux doigts de la déprime) : Je voulais tellement te faire plaisir, je suis passé tellement à côté. Ca m’énerve, tu ne peux pas savoir. A chaque fois, c’est pareil, je veux te faire une surprise et je me plante, ce n’est pas le bon modèle, ce n’est pas le bonne taille, ce n’est pas la bonne couleur… C’est pour ça que j’attends d’être avec toi pour te faire un cadeau, c’est plus sûr.
Sandrine : Tu peux me faire des surprises sans te tromper, comme des fleurs par exemple, ça me fera toujours plaisir.
Moi (boudeur) : Et les œillets ? J’étais bien passé à côté pour les œillets ?
Sandrine (rigole puis se reprend) : Elles étaient jolies quand même ces fleurs. Tu ne pouvais pas savoir que c’était des fleurs pour les morts… Mais bon, pour ma bague de fiançailles, tu ne t’es pas trompé, pour le collier et la bague offerts au début de notre relation non plus, je les portes tous les jours depuis neuf ans…
Moi (je retrouve d’un coup le sourire à l’évocation des ces souvenirs) : Ah ouais, c’est vrai, je ne me suis pas trompé à chaque fois mais quand même là…
Sandrine (éclate carrément de rire, ayant l’impression que la crise existentielle de son mari vient de se dissiper) : C’est sûr, là, tu m’offres un petit sac marron alors que je te dis depuis plusieurs semaines que j’en veux un grand et noir… A croire que tu ne m’écoutes pas…

Plus tard, allongé dans le lit, j’ai eu du mal à trouver le sommeil. Je repensais à cette surprise foirée. Je savais que j’allais me tromper, je savais que je ne prenais pas le bon sac alors je ne comprenais pas pourquoi ça m’avait tant affecté d’avoir en effet choisi le mauvais modèle.
Si au moins j’avais pris un sac ressemblant ! Mais là, c’est comme si je lui avais achetée des chaussures de hand taille 46 alors qu’elle voulait une paire de tongs. Surtout qu’elle m’en avait parlé, qu’elle m’avait montré le modèle une semaine plus tôt (Une semaine ! Pas six mois ! Une semaine !).
Bref, dans ma quête pour devenir un mari parfait, je venais de trébucher mais je n’abandonnais pas…

Ce matin, je suis parti avec mon paquet bien décidé à l’échanger ce soir contre le bon modèle et à revenir la tête haute à la maison.
A 7h42, j’étais à mon poste. A croire que j’adore mon boulot.

Hier, je devais avoir une réponse suite à l’entretien de lundi soir mais je n’ai reçu aucun coup de fil. Ce n’est pas très bon signe.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Si tu ne sais pas quoi en faire...je le veux bien ce sac moi!

Bises

06 juillet, 2007  

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