Les choses simples

4.6.10

Une bonne leçon

Depuis le mois de janvier, j’ai réussi à prendre un peu de temps, notamment le vendredi midi, en allant à la bibliothèque près de mon travail, pour écrire un peu.

Je me suis lancé dans deux nouvelles. Une, intitulée Fausse route, sur le décès de ma grand-mère maternelle (sur laquelle je dois revenir) et une seconde dont le titre est Le Passeur.

Pour cette dernière, je me suis inspiré d’une collègue. J’ai inventé une histoire en reprenant les différents souvenirs qu’elle avait pu partager avec moi directement ou en communauté. Je n’avais que des bribes d’événements et j’ai écrit les liens entre eux, instaurant ce que j’imaginais de cette vie de famille, des rapports entre les gens, des derniers instants de ce père qui meurt. J’étais assez motivé : ne pas écrire sur moi mais faire évoluer un personnage, une histoire, qui n’est pas la mienne, ça me plaisait bien. J’ai avancé et terminé 14 petites pages. Je ne pouvais pas cacher que le personnage principal était ma collègue sans être elle, que sa vie était la sienne sans l’être réellement et que les rebondissements qui jalonnent ces pages provenaient d’anecdotes racontées sur un coin de table, dans un train, autour d’un verre, au restaurant, formant dans ma tête une grande histoire à la fois vécue et rêvée.

Après avoir corrigé ce texte, je l’ai imprimé, j’ai plié les pages pour les mettre dans une enveloppe. Je l’ai tendue à ma collègue en lui disant que j’étais parti d’une anecdote qu’elle m’avait raconté il y a longtemps pour écrire cela, et que j’aimerai bien qu’elle me donne son avis et ses critiques. En prenant l’enveloppe, elle avait un grand sourire et le regard rempli de curiosité à l’idée d’avoir été l’initiatrice d’un acte d’écriture.

Nos rapports, ces derniers temps, avaient été moins bons qu’avant, toujours lié à mon histoire avec une autre collègue. Et je crois qu’au fond de moi, j’avais espéré redorer un peu mon blason avec cette nouvelle. Soit, elle trouvait ça super, était touchée par sa propre histoire écrite noir sur blanc, et j’avais gagné une forme de respect ; soit, elle n’appréciait pas, ni le sujet, ni l’écriture, ni le style, et j’avais gagné quand même une forme de respect pour le seul fait d’avoir essayé d’écrire. Bref, un coup gagnant-gagnant, comme on dit.

Depuis ce jour, silence radio.
Jusqu’à ce matin en tout cas.
Je lui ai demandé ce qu’elle en avait pensé.

Elle : J’ai trouvé ça détestable. Je n’ai pas du tout aimé. Je ne sais même pas pourquoi tu as écrit ça ! Tu m’avais dit que c’était basé sur une anecdote que je t’avais racontée mais pas que c’était carrément ma vie, racontée par toi ! Et en plus un épisode douloureux ! Le personnage principal a mon âge, la même situation familiale, le même genre de boulot… C’est trop proche de moi ! J’ai lu ton texte un vendredi soir, ça m’a plombé tout mon week-end… Je ne m’attendais tellement pas à ça ! Si encore tu avais raconté un épisode heureux, un truc rigolo, pourquoi pas mais là, le décès de mon père ! Je n’avais pas besoin de ça quatre ans plus tard. Je ne te le souhaite pas mais il n’y a pas d’âge pour être orphelin et souffrir.
Non, vraiment, je n’ai pas du tout aimé et je me demandais : mais pourquoi a-t-il écrit cela ? Je ne comprenais pas. En plus, il s’agit de souvenirs que j’ai pu partager avec toi, je ne tenais pas spécialement à les voir un jour écrit dans une histoire. Si j’avais eu besoin de l’écrire, je l’aurais fait moi-même.

Moi (complètement abattu) : Je suis désolé (ma voix tremble). Ce n’était pas du tout ce que je voulais. Je ne tenais pas à te blesser.

Un silence lourd entre nous. Je ne sais pas quoi dire pour ma défense. Je suis passé complètement à côté. J’ai perdu sur toute la ligne. Je quitte son bureau, tête basse.

Je reconnais que cette histoire n’est peut-être pas assez maquillée, trop proche d’une réalité entendue, partagée, mais j’en fais ma propre histoire avec mes propres émotions.
C’est de l’autofiction de quelqu’un d’autre. J’ai pris une base réelle, une femme, une famille, le décès du père et la rencontre de cette femme, dans l’hôpital, avec un vieil homme qui, d’une certaine manière, l’aidera à passer le cap. Mais j’ai dû créer tout le reste, les dialogues, installer les décors, les impressions, donner des émotions à cette femme. C’était elle sans être elle, sa vie sans être la sienne, comme dans un monde parallèle.

Je ne regrette pas d’avoir écrit ce texte. Je regrette de lui avoir fait lire. Il n’était pas pour elle. Trop intime, trop proche, trop malheureux. Elle n'avait pas sa place à lire cette nouvelle dans laquelle elle prenait déjà toute la place.

Comme il ne faudrait peut-être pas faire lire Fausse route à ma mère ou ma tante.

A force d’écrire sur du réel, du concret, on se frotte à la vérité des émotions de chacun.
Si je n’écris que sur moi, je prends moins de risques, et encore…
Mais en pillant la vie de quelqu’un, même un petit détail, un événement banal, ou pire, comme ici, un passage dramatique, c’est comme si j’appuyais moi-même sur la plaie et que je tournais.
Si cela me permet d’écrire une nouvelle, voire peut-être une bonne nouvelle, tant mieux pour moi, mais la personne à qui j’ai emprunté cette plaie ouverte, n’a pas besoin de le savoir et encore moins de lire le résultat.

Je me sens assez mal vis-à-vis d’elle et je pense qu’il va falloir du temps pour que ce texte blessant pour elle soit oublié.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Après Harry dans tous ses états, Romain dans tous ses états. Ca partait forcément d'une bonne intention cette nouvelle ou en tout cas l'offrande de cette lecture. Mais Woody Allen a bien démontré dans son film qu'il est dangereux de présenter son travail aux personnes qui en sont les divers points d'inspiration... Ca ne doit pas être très facile à vivre. Pour te remonter le moral, ça te dit une comédie vendredi soir prochain à la maison ?

05 juin, 2010  
Anonymous Anonyme said...

Euh l'anonyme c'est moi...

Nicolas

05 juin, 2010  

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